Ciné-concert « The Last Of Us » : dédoubler le sens, libérer le spectateur

Ciné-concert « The Last Of Us » : dédoubler le sens, libérer le spectateur

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Sorti ce 5 avril, The Last of Us (« Akhir Wahid Fina ») marque l’avènement d’un cinéma nouveau. La critique ne cesse de parler, naïvement ou à raison, d’une nouvelle vague tunisienne depuis 2011, avec cette génération émergente de cinéastes et de créateurs forts d’un désir commun de délivrer l’image cinématographique de ses clichés redondants et de lui offrir un affranchissement sans compromis.

 

Le premier long-métrage de Alaeddine Slim s’inscrit dans cette logique du dépassement et du renouvellement. La sortie officielle du primé de la Mostra vénitienne s’est accompagnée d’une exposition des affiches du film revisitées par plusieurs artistes, de la vente de CDs et vinyles de la bande sonore et ce mercredi 12 d’un ciné-concert avec Oussema Gaidi, alias YnflX, dans le cadre des Journées musicales de Carthage… Retour sur une projection atypique où le récit musical emboîte le pas au produit filmique.

 

 

À la conquête d’un sens à construire…

 

21 heures tapantes, l’audience se faufile dans la pénombre : l’Institut français de Tunis n’est éclairé que des images à venir tandis que s’affairent les techniciens et à leur tête, le compositeur tunisien Oussema Gaidi afin de mettre la machine en marche. Machine productrice, au sens deleuzien, c’est-à-dire génératrice de flux et de connexions entre divers supports du message artistique. The Last of Us s’affiche enfin sur les écrans de la terre natale, après avoir brillé sous d’autres cieux… Gaidi ou de son nom de scène YnflX libère une par une ses sonorités particulières. Ambient, Shoegaze ou IDM (pour Intelligent Dance Music), le genre musical est difficile à cerner autant qu’il est délicat de classer « Akhir Wahid Fina ». L’on est toutefois tenté d’assimiler cet heureux mariage des images et des sons à une quête contemplative, offrant à son public le droit de choisir lui-même le sens à conférer à l’œuvre. Le film de Alaeddine Slim permet déjà cette liberté d’une épopée qu’entame le personnage N hors de la Cité des hommes, prêtant sa main vigoureuse et griffée au spectateur désormais responsable de ses affects. Le sens ne se délivre pas, encore moins avec la composition de YnflX, il se conquiert.

 

L'art, terre de toutes les libertés

 

N, figure de l’exilé en quête d’une terre accueillante, erre depuis les déserts inhospitaliers vers la Cité. Ce premier bout de chemin parcouru est raconté par le récit filmique sur lequel se greffe une seconde peau : le textus musical. Drapée par son nouvel habillage, l’œuvre cinématographique se laisse habiter par des signaux, des décibels tantôt sauvages lorsque le personnage se fait attaquer, tantôt humanisés quand N se faufile entre les hommes de la Cité pour chercher des vivres, mais surtout un monde plus amical. Au bout du périple, le bruitage de Gaidi commence à prendre les allures d’une respiration, d’un souffle qui se saccade par moments et qui ne s'interrompt que pour mieux recommencer. Souffle plus serein à mesure que le protagoniste se débarrasse de son statut d’homme pour revêtir son devenir animal. Sa quête module le récit sonore et vice versa : il est des moments où la musique appelle le produit cinématographique et les personnages, N puis M,  y répondent, comme si les deux œuvres avaient fusionné pour n'en faire qu’une.

Face à ce dédoublement du sens, le public reçoit le don d’une immersion totale, un cadeau que seul l’art peut offrir lorsqu’il est généreusement véhiculé. Le spectateur s’en trouve enfin responsabilisé et non plus infantilisé dans son rôle de constructeur du sens et de récepteur de l'œuvre. L’union du cinéma de Alaeddine Slim et de la musique de Oussema Gaidi nous rappelle cette heureuse formule du maître Sergiu Celibidach : « Tout art a un seul but : la liberté. »